Janvier - Semaine 4
Les chansons de Ludovic Gourvennec
Janvier- Semaine 4 :
Dans le domaine artistique de la chanson française ou francophone, que signifie l’expression « rencontrer le succès » ? Les artistes qui ont du succès ont-ils nécessairement du talent ? Et qu’est-ce que le talent dans ce domaine ? Relève-t-il de l’écriture (l’auteur), de la composition (la musique) ou de l’interprétation ? Ou des trois ensemble ? Et pourquoi a-t-on parfois le sentiment d’aimer des artistes et/ou des chansons dont on rage qu’ils.elles n’aient pas plus de diffusion ou de reconnaissance ? C’est un domaine complexe qui relève probablement à la fois du talent et des moyens de le révéler, des compétences des maisons de disques, des relations, des circonstances (un morceau va être signalé sur facebook ou twitter et exploser), de la chance, de l’absence d’envie de l’artiste de « se vendre », donc d’une certaine forme de psychologie ou de positionnement éthique, etc.
Je mets cette semaine l’accent sur Françoiz Breut, une artiste assez peu connue mais à propos de laquelle tous les témoignages (compositeurs, arrangeurs, responsables de maisons de disques, etc.) s’accordent à reconnaître le grand talent – sans toutefois qu’elle ait probablement bénéficié suffisamment de la reconnaissance publique.
Elle fait ses premières apparitions au début des années 90, dans le sillage de son compagnon d’alors, Dominique A. C’est l’époque charnière et emblématique de l’éclosion de la nouvelle « nouvelle chanson française » (dans les années 70-80, il y avait eu déjà la « nouvelle chanson française » avec les Souchon, Jonasz, Le Forestier et compagnie), de la découverte de tous ces nouveaux artistes bien plus par les disques et la scène que par la télé, avec les Noir Désir, Zebda, Les têtes Raides, Miossec and C°, les années de cette vague artistique qui naissait en même temps que l’éclosion d’internet, de mon premier abonnement aux Inrocks. Je découvre à ce moment-là Françoiz Breut, qui apparaît à la voix sur des chansons vraiment vraiment chouettes de Dominique A. Sa voix fluide et épurée marque d’emblée l’auditeur :
« Les hauts quartiers de peine » (1995) :
« Au twenty-two bar » (1995) / Live dans l’émission Nulle part ailleurs (elle arrive, magique, à partir de 2 minutes de chanson) :
« Au twenty-two bar » (1995) :
Artiste un peu touche-à-tout, elle s’exerce aussi dans les arts plastiques et a publié beaucoup de livres en tant que dessinatrice, elle mène nombre de collaborations (écoutez sa voix sur le magnifique « La plume » (2000) des Louise Attaque), elle s’installe à Bruxelles et sort plusieurs albums. L’ambiance, minimaliste et agréable, semble toujours laisser la place à l’écoute, au temps de la découverte, l’auditeur.trice étant bercé.e par la suavité de la voix et la recherche textuelle.
« La conquête » (2016) : chanson aux arrangements chiadés, et aux accents poétiques indéniables (« comme une étoile dans le ciel énigmatique, là où la lumière ne s’éteint jamais, dans l’espace cosmique, l’amour devrait rester une espèce en voie de disparition, ne pourra survivre dans ce monde matériel, il n’en fait qu’à sa tête ») :
« La conquête » (2016) :
Sa dernière production m’a vraiment plu et touché, magnifique. Dès le titre, intéressant d’ouverture et d’interrogation, on est happé dans un univers étrange, de la tentation. La chanson, lente car volontairement lancinante, obsessive, lascive, déroule son rythme enlaçant au fil des écoutes, entre pop, rock et électro, avec un texte à nouveau très travaillé. Comment dire le désir, les rapports physiques, l’amour ? Elle propose sa version. Et l’énonciation laisse tout ouvert : on ne sait jamais si un homme ou une femme est l’énonciateur.trice et à qui elle.il s’adresse. J’aime beaucoup ce potentiel d’ouverture lié à la réception des œuvres, et le clip brouille brillamment ces potentiels interprétatifs.
« Mes péchés s’accumulent » (2021) :
Bonne fin de semaine.