FRANCAIS LANGUE SECONDE - Publics et approches
La notion de français langue seconde est d’introduction récente, commençant à trouver sa place dans le courant des années 1970, et pouvant concerner tout aussi bien les publics relevant de ce que l’on appelle les francophonies du sud, que les publics de migrants, enfants ou adultes, installés dans un certain nombre de pays européens dont la France.
Est considéré comme migrant, au sens le plus général du terme, toute personne qui, née à l’étranger, et de nationalité étrangère, s’installe, pour des raisons diverses, dans un autre pays, pour une durée plus ou moins longue, le plus souvent en vue d’y exercer une activité rémunérée. Le fait migratoire, dans un pays comme la France, est ancien. Des populations de multiples origines s’y sont installées, polonaises, espagnoles, italiennes pour ne citer ici que les migrations les mieux repérées dès la fin de la Première Guerre mondiale, puis portugaises, maghrébines, yougoslaves, turques après la Deuxième Guerre mondiale et plus récemment des publics en provenance d’Afrique noire. Cette migration, souvent familiale, a eu pour effet, et aujourd’hui encore, d’engager la scolarisation d’enfants allophones pour lesquels une formation en français dans des délais très rapide s’impose, pour leur permettre de suivre dans de bonnes conditions une formation à l’école primaire ou au collège.
Il n’existe nulle définition qui fasse l’unanimité s’agissant du FL2. Mais on peut le définir a minima comme un enseignement du français à destination de publics scolaires (ou adultes, voir infra l’ouvrage d’Hervé Adami), dont la langue native/d’origine n’est pas le français, et qui auront à effectuer, en tout ou partie, une scolarisation en français. Un enseignement du FL2 requiert à ce titre un appui en langue plus important que celui qui prévaut à l’ordinaire pour les publics francophones natifs, appui qui doit permettre aux élèves d’accéder plus aisément aux apprentissages de ce que l’on appelle aujourd’hui les DNL (disciplines non-linguistiques, mathématiques, sciences, etc.).
En ce sens le FL2 se distingue du FLE qui intervient sur des segments de compétence plus restreints (voir sur ce point le CECRL) qui n’interviennent nullement dans le champ des apprentissages ordinaires de l’élève, ou qui s’adresse à des publics d’adultes soucieux de trouver place dans un environnement d’échanges particuliers.
Avec le public des enfants de migrants en France, le processus fut tout aussi lent, la mention FLE étant restée longtemps en usage (le Belc et le Credif avaient d’ailleurs signé une convention avec le ministère de l’Education nationale, en vue d’apporter aux équipes chargées d’accompagner les professeurs exerçant auprès des publics d’enfants de migrants l’appui pédagogique nécessaire), ce qui ne pouvait que renforcer l’usage de la mention FLE pour définir cet espace de formation. Il fallut déployer de longs efforts pour parvenir à une approche différente et une brochure fut enfin publiée en 2000 par le ministère de l’Education nationale pour reconnaître la validité et l’intérêt de cette approche. On notera cependant au passage que ce texte ne figurait nullement comme chapitre à part dans les programmes de français, mais comme simple Document d’accompagnement, à fonction essentiellement pédagogique. Considérons cependant que la difficulté à situer le FL2 par rapport au FLE a toujours subsisté, sans compter la mention FLM, lourde d’ambiguïtés, cette maternité n’étant jamais précisée dans ses origines (mère biologique, mère-patrie ?), le « français » au ministère français de l’Education nationale n’ayant, cela étant, jamais fait l’objet d’une qualification particulière.
La collection F ne pouvait donc rester à l’écart d’une problématique d’apprentissage qui concerne un public au profil et aux besoins particuliers, dès lors que certaines parentés méthodologiques peuvent être envisagées.
Plusieurs ouvrages de la collection dans des orientations variées, mais complémentaires, ont été publiés et méritent d’être approchés dans une analyse partagée.
Guy Cherqui, Fabrice Peutot, Inclure : français de scolarisation et élèves allophones
Les élèves allophones inscrits dans les écoles françaises constituent un public à part, repéré depuis longtemps, depuis la fin des années 50 pour ce qui est de l’après-guerre[1], et qui n’a pas manqué de poser problème. Comment en effet organiser une formation spécifique en français dans un système, le système éducatif français, qui par principe ignore les différences sociales, culturelles ou nationales ?
Dans leur ouvrage, les deux auteurs souhaitent aborder la problématique de ces publics dans toute son étendue, à la fois dans la place accordée à ces élèves dans le système, et dans les réponses pédagogiques considérées comme les plus appropriées. Le terme « inclure » qui constitue le titre de l’ouvrage mérite en effet un rappel essentiel, sachant qu’il ne s’agit pas d’enfermer ces publics dans une structure propre dont ils ne sortiraient jamais. Inclure, c’est inscrire dans la classe ordinaire, selon ses particularités propres, c’est trouver en même temps, complexité de la tâche, des réponses à certains moments spécifiques, dans les UPE2A qui sont des lieux provisoires, dans l’emploi du temps de la semaine, de mise en place d’une compétence dont l’actualisation se fera dans la classe ordinaire d’inscription. En même temps, inclure signifie, pour ceux qui accueillent, d’entreprendre l’effort nécessaire pour permettre à ces nouveaux publics de trouver leur place.
Les conditions de l’inclusion scolaire sont alors tracées, avec comme élément corollaire une réflexion sur le pilotage, qui dans sa réalité institutionnelle n’est pas toujours très clairement posé, mais doit s’appuyer sur des outils dont l’usage est ici décrit, le CASNAV constituant la structure qui permet aux différents acteurs de définir une politique d’accueil cohérente.
Reste alors le chapitre majeur, celui consacré aux apprentissages qui, on l’aura compris avec ce qui précède, ne constitue pas un bloc à part, distinct des autres problématiques évoquées, mais résulte des contraintes et choix précédemment posés : enseignement de la langue française, face aux langues des élèves (problématique à laquelle l’ouvrage Français et langues du monde, voir infra, répond) , l’enseignement des disciplines autres que le français enseignées en français (voir l’ouvrage, Mathématiques en français langue seconde et en langue étrangère, voir infra), vers des démarches et outils qui sont ceux de l’enseignement bilingue (voir infra L’Enseignement en classe bilingue). Le concept de FL2 trouve ainsi son profil et sa place, comme moment dans les apprentissages, dans un parcours de formation, avec de nombreuses propositions d’activités, dans lesquelles les enfants allophones et francophones natifs peuvent se retrouver. Enfin la question de l’évaluation des élèves allophones est posée, dans l’ensemble des outils dont il est fait usage, aux différents moments de la scolarité, évaluation initiale pour le positionnement, le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture et par la suite, le DNB, appelé d’ailleurs à évaluer dans sa fonction de filtre d’accès à la classe supérieure. La question de l’orientation, en même temps posée, montre comme le système français a du mal à prendre en compte les particularités de ces publics.
Comme on peut le constater, des questions qui sont toujours d’actualité et qui entrent en résonance avec les autres ouvrages de la collection F que nous présentons ici.
Hervé Adami, Enseigner le français aux adultes migrants
Les questions liées au FL2, telles que nous les abordons ici concernent des publics scolaires, certes dans la diversité de leurs lieux d’insertion, mais élèves tout de même qui prennent place dans un dispositif de scolarisation tel qu’il est classiquement défini (voir notre chapitre Le Français à l’école). Mais il existe d’autres publics qui prennent place dans un cadre éducatif, institutionnel spécifique, celui consacré aux adultes migrants, public disposant en général d’un faible capital culturel, déjà engagés pour un certain nombre d’entre eux dans une activité professionnelle et qui ont besoin d’acquérir une maîtrise du français pour entamer un parcours d’intégration, s’ils décident de s’installer, ou tout simplement pouvoir faire un usage relativement efficace du français pour faire ses courses, aller chez le médecin, entrer en contact avec l’administration[2] ou pour travailler dans des conditions raisonnables d’efficacité et de sécurité.
Cette formation, aux enjeux majeurs pour les publics concernés, est souvent dispensée par des enseignants bénévoles qui doivent gérer des classes multi-niveaux, tâche complexe qu’il importe d’appuyer ici, telle est la visée de cet ouvrage. A ces caractéristiques d’ensemble, il convient d’ajouter une demande récurrente des acteurs de terrain concernant l’alphabétisation. En même temps qu’ils doivent apprendre le français, ces publics doivent aussi apprendre à lire et à écrire. Au total, des adultes en formation, avec une scolarité courte comme point initial de référence et de façon plus générale une absence d’habitus scolaire. Dans une formation en langue qui interfère en permanence avec des questions d’intégration sociale et professionnelle, l’entreprise est complexe.
Les différents chapitres de l’ouvrage permettront au formateur de disposer de réponses précises sur les interrogations que chacun est en droit de se poser :
- Les contextes
- Les principes
- Les démarches
- Les interventions, les contenus, les outils
- L’alphabétisation
- La formation linguistique à visée professionnelle
Un certain nombre de séquences thématiques et de séquences situées et finalisées, ainsi que d’autres formes d’activités et d’exercices, sont proposées de façon à faire clairement apparaître ce qui caractérise un apprentissage qui s’adresse à des adultes migrants.
Dominique Levet, Elena Soare, Anne Zribi-Hertz, Français et langues du monde : comparaison et apprentissage
Depuis longtemps, il est reconnu qu’un élève ne peut apprendre une nouvelle langue que par rapport à sa (ou ses) langue (s) d’origine. Tous les professeurs de FLE/FL2 savent qu’il existe chez l’élève un déjà là, c’est-à-dire une compétence langagière et linguistique qui, même si elle ne s’inscrit pas dans un schéma d’analyse explicité, les jeunes élèves peuvent parfois parler des langues dont la grammaire n’a pas forcément été décrite en termes accessibles aux apprenants ordinaires, constitue l’appui à partir duquel l’apprenant va tenter de se situer par rapport à cette nouvelle langue qu’est pour lui le français. Pendant longtemps, cette présence de cette langue première était considérée comme une source de fautes, d’interférences disait-on aussi dans un langage plus châtié, mais source donc de problèmes. Fautes qui plus tard, dans les années 80, accédèrent au rang d’erreur, c’est-à-dire d’expression d’un accès incertain vers la L2, étape qu’il importe ainsi de prendre en considération. Mais, dans l’enseignement des langues, l’erreur est souvent, sinon d’abord, liée aux particularités de la langue d’origine. La grammaire du français n’est pas une grammaire à valeur universelle, très loin de là, elle s’organise selon une logique particulière qui, si elle peut être partagée par des langues appartenant à une même famille ou à des familles proches (voir sur ce point dans la collection F L’Intercompréhension ; une autre approche pour l’enseignement des langues) , ne le sont pas par d’autres. On peut aisément considérer que les langues nilo-sahariennes par exemple s’inscrivent dans des schémas syntaxiques et morphologiques fort éloignés de ceux en en vigueur pour le français.
Les publics que l’on accueille dans ce que l’on appelle aujourd’hui les UPE2A parviennent de territoires, ou disons encore d’espaces culturels, dans lesquels on parle des langues qui ne font pas partie de ce que l’on appelle en Europe les langues centrales (anglais, espagnol, français, allemand, voire portugais ou Italien), souvent connues des professeurs, mais des langues venues de territoires pourvoyeurs de populations immigrées (monde arabe, monde africain, monde asiatique, voire de certaines parties d’Europe) et inconnues pour leur plus grande part des professeurs. Un certain nombre d’entre elles sont enseignées, en France, à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales), mais à ce titre ne bénéficient pas d’une large diffusion auprès des publics de futurs enseignants.
Si l’on veut que les professeurs puissent enseigner le français sans perdre de vue les compétences initiales de leurs élèves, il convient de leur proposer une description comparée du français avec un certain nombre de langues, un peu plus d’une soixante dans cette ouvrage (voir pp. 219-220), telle que la mise en regard d’une particularité du français dans ses solutions propres, la proposition relative par exemple, puisse être confrontée aux solutions proposées dans des langues africaines, asiatiques ou venues du monde arabe. Cette comparaison permettra au professeur d’anticiper sur les difficultés que pourront rencontrer certains élèves, de façon à proposer les activités d’appui ou de remédiation appropriées. Des suggestions d’activités sont à chaque fois proposées.
L’ouvrage s’organise en cinq grandes parties :
- Les sons
- Le lexique
- Le nom et son groupe
- La phrase
- Temps et verbe
Les professeurs pourront en outre trouve un complément d’informations sur le site Langues et grammaires du monde dans l’espace francophone https://lgidf.cnrs.fr/langues tout à la fois sous forme de fiches-langues pour entrer dans le détail descriptif de chacune d’entre elles, et de L’Histoire de l’âne de Nasrudin Hodja qui pour chacune d’entre elles présente une restitution orale, puis une traduction au mot à mot et une traduction française. On peut de la sorte mieux mesurer les écarts entre l’organisation de la phrase en français et celle qui prévaut dans d’autres langues.
LES DISCIPLINES NON-LINGUISTIQUES OU DNL
Les DNL constituent aujourd’hui une composante partout admise de l’apprentissage du français approché comme langue seconde. Non seulement il s’agit de mettre en place un apprentissage centré sur la maîtrise de la langue française, apprentissage dont l’intelligibilité (être capable de comprendre les autres, être capable de se faire comprendre des autres) constitue le principe de base, mais il convient encore de faire en sorte que cet apprentissage permette aux élèves de pouvoir prendre place, avec toute l’efficacité requise, dans les apprentissages de disciplines qui font partie du cursus scolaire classique (mathématique, sciences et technologie, sciences dites humaines - histoire et géographie-, éducation morale et civique, etc.), sans compter, allons jusqu’au bout de la réflexion, le français lui-même qui dans les apprentissages ordinaires revêt des formes souvent éloignées de ce qui était proposé dans les cours de FL2. Un moment de systématisation en UPE2A sous la forme d’exercices à dominante structurale et une classe de grammaire selon les normes d’un enseignement scolaire du français dans la classe ordinaire d’inscription ne sauraient se confondre et aller de l’un à l’autre ne va nullement de soi.
Jean Duverger, L’Enseignement en classe bilingue
Dans son ouvrage L’Enseignement en classe bilingue Jean Duverger montre comment il est possible de mettre en place un enseignement de langue qui permette d’acquérir des savoirs, d’être un outil d’apprentissage, en usage, en tout ou partie, de l’enseignement d’une DNL , enseignement présent dans ce que l’on appelle les sections internationales, les sections européennes, sous l’appellation plaisante, Jean-Jacques souviens-toi, d’Emile (Enseignement d’une matière par intégration d’une langue étrangère). Après avoir passé en revue tous les bénéfices que l’élève peut tirer d’un tel type d’enseignement, Jean Duverger aborde le traitement didactique de tels apprentissages et l’articulation des langues dans le déroulement du cours. Sont ainsi proposés un certain nombre de repères au service de l’élaboration d’un projet d’enseignement bilingue. Deux langues vont donc coexister sur un enseignement partagé, selon un processus d’alternance, compris entre macroalternance et microalternance. Appris au contact d’un savoir abordé dans la L1, le français révèle de la sorte de nouvelles potentialités. Il est une langue qui permet non seulement de parler à quelqu’un, mais aussi de parler de quelque chose.
Catherine Mendonça-Dias, Karine Million-Fauré, Mathématiques en français langue seconde et en langue étrangère
Cet ouvrage traite de la dimension langagière de l’enseignement des mathématiques et à ce titre constitue l’illustration parfaite de ce que peut-être un enseignement du français au service d’une DNL, ici les mathématiques. Bien évidemment, il est toujours loisible de dire qu’il n’existe pas de discipline qui ne soit pas linguistique. Toute savoir est parlé, prend place dans un langage verbal sans lequel aucun échange et aucun enseignement ne serait possible. Il convient en effet de distinguer le langage propre à un domaine scientifique, selon ses conventions propres (langage de la chimie, langage cartographique, langage numérique, algébrique, etc.), qui sert à représenter une problématique particulière et le langage verbal qui sert à communiquer les données et les résultats. Toute science est à la fois représentation et communication.
La classe ordinaire de mathématiques, domaine qui nous intéresse ici, est d’abord, comme nous le signalent les auteurs de l’ouvrage, une classe de langue et si les élèves francophones natifs peuvent y avoir accès sans trop de difficulté, s’agissant d’élèves allophones (UPE2A, classes bilingues, établissements français à l’étranger ou établissements présents en différents contextes francophones) la difficulté est plus grande pour des élèves dont la maîtrise du langage verbal est en cours de construction, langage verbal et langage mathématique devant être gérés simultanément, ainsi de l’usage des déterminants et des conjonctions évoqué à un moment, comme du problème posé par la densité et la complexité des énoncés mathématiques.
L’ouvrage, en décrivant les situations d’enseignement et les publics concernés, propose aux enseignants de mathématiques, comme aux enseignants de français, des approches qui inscrivent les mathématiques à l’intérieur d’une enveloppe verbale telle que les deux dimensions de cet apprentissage soient traitées avec toute l’efficacité requise. Un chapitre est plus particulièrement consacré au cas des élèves migrants. Enfin est examinée la diversité des pratiques culturelles des mathématiques qui constituent une construction disciplinaire qui fait écho à des traditions culturelles particulières dans la façon de compter, dans les systèmes de numération, dans les univers géométriques, par exemple. La diversité des élèves trouve ici une autre origine, au-delà de la question classique des niveaux et appelle des traitements particuliers par la mise en œuvre de séquences interdisciplinaires.
On trouvera sur la site Hachette Fle, les podcasts consacrés à ces différents ouvrages, avec à chaque fois un entretien avec l’ (ou les) auteur(s), organisé par Ivan Kabacoff, de TV5Monde https://www.hachettefle.com/actualite/les-podcasts-de-la-collection-f
[1] Pour ce qui est de l’accueil et de la prise en charge pédagogique des enfants étrangers avant 1945, on pourra se reporter au compte rendu de la journée d’études « Accueil et formation des enfants étrangers de la fin du XIXe siècle au début de la Deuxième Guerre mondiale » Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde , 46, 2011, https://doi.org/10.4000/dhfles.2074
[2] Sur cette question particulièrement sensible auprès des publics d’adultes migrants, on doit signaler la publication récente avec le soutien d’un certain nombre d’acteurs institutionnels dont celui du ministère de la Culture (DGLFLF) et du ministère de l’Intérieur d’une série de Glossaires bilingues de l’administration française. Pour une compréhension réciproque, en sooninké, arabe et persan, éditions Maison de la Sagesse-Traduire, 2022. D’autres glossaires bilingues suivront.