Structurer l’enseignement-apprentissage de l’oral en classe de langue

Les auteurs de l'ouvrage "Interactions, dialogues, conversations" vous proposent quelques conseils pour faciliter le contact des apprenants avec la réalité observable in situ dans des interactions authentiques du quotidien.
Elisa Ravazzolo
Auteure de "Interactions, dialogues, conversations"
Posté le 11 Février 2022

Introduction

Notre ouvrage se propose de fournir aux enseignants de FLE, aux formateurs et aux auteurs de méthodes, des notions, des suggestions méthodologiques et des pistes d’exploitation leur permettant de mieux structurer l’enseignement-apprentissage de l’oral en classe de langue.

En nous appuyant sur les catégories d’analyse issues de la linguistique interactionnelle et de l’analyse conversationnelle, nous avons souhaité mettre en relief le caractère collaboratif, contextuel et multimodal du français parlé, afin d’orienter la formation des apprenants vers l’acquisition de la capacité d’interagir de manière appropriée dans des situations concrètes (par exemple, savoir comment prendre la parole dans un débat, exprimer son désaccord, formuler une invitation, etc.).

L’objectif est de faciliter le contact des apprenants avec la réalité observable in situ dans des interactions authentiques du quotidien et de stimuler le développement de stratégies de compréhension spécifiques fondées sur l’exploitation d’indices multimodaux (prosodiques et mimo-gestuels). Il s’agit, par exemple, de mettre en évidence le mode d’organisation spécifique des échanges oraux et de montrer comment une action langagière (question, requête, etc.) ou une activité (invitation, récit, argumentation, etc.) peuvent se réaliser différemment selon le contexte. En même temps, l’accès à des données orales naturelles offre la possibilité de travailler sur des schémas prosodiques et des phénomènes phonétiques typiques de l’oral, ou encore sur les marqueurs et les différentes structures lexicales ou syntaxiques du français parlé. Une attention particulière est accordée au développement de stratégies permettant de repérer et interpréter les regards, les mimiques, les gestes et les postures du corps qui peuvent accompagner ou remplacer les productions verbales.

Les objectifs d’apprentissage

L’approche structurée de l’oral que nous proposons se fonde avant tout sur une méthodologie d’exposition aux données naturelles qui crée des habitudes d’écoute chez l’apprenant et favorise la mise en place de stratégies de compréhension et d’inférence ainsi que la prise de conscience du caractère culturel des productions verbales. L’idéal est de travailler sur des extraits qui permettent d’apprendre, par exemple, comment on peut exprimer un désaccord en contexte professionnel ou en contexte privé et quelles sont les ressources (phonétiques, lexicales, syntaxiques, gestuelles …) que l’on doit mobiliser pour formuler une offre, exprimer un refus, négocier un prix, réparer un malentendu, etc. Les bénéfices liés à l’exploitation de corpus oraux donnant accès à des scènes de la « vraie vie » sociale ne sont pas liés uniquement à l’observation de situations non-stéréotypées, mais aussi à leur richesse en termes de formes prosodiques et de particularités de prononciation rarement représentées dans les dialogues pédagogiques.

Dans cette perspective, l’exposition régulière à des extraits d’interaction authentiques est donc indispensable, mais elle n’est pas suffisante : elle doit être associée à une phase d’observation-analyse et à une phase d’entraînement, avec la réalisation d’activités dont nous donnons quelques exemples dans l’ouvrage. En effet, si les étudiants ramènent souvent leurs difficultés de compréhension des extraits d’interactions naturelles à la vitesse d’élocution, les activités d’observation-analyse proposées par l’enseignant devraient les amener à comprendre que le discours oral possède un rythme spécifique, déterminé entre autres par des particularités prosodiques (la distribution des accents), et des phénomènes phonétiques (comme les élisions, la chute de e caduc, les assimilations etc.) ou interactionnels (chevauchements, hésitations…). Par conséquent, ce qui au début de l’expérience d’écoute peut être perçu comme très rapide, sera après coup analysé et intégré dans une nouvelle posture d’écoute, fondée sur une meilleure perception sonore, véritable « porte d’entrée de l’accès au sens ».

La phase d’observation-analyse, d’abord ciblée sur les particularités prosodiques et phonétiques du français parlé, devrait prendre en compte parallèlement les constructions syntaxiques spécifiques (dislocations, clivées et pseudo-clivées) employées par les locuteurs pour réaliser leurs activités et mettre en évidence des phénomènes interactionnels récurrents. Nous avons souligné en particulier la nécessité de prévoir des analyses et des activités sur l’usage des marqueurs du discours massivement présents dans les discours oraux, et sur le fonctionnement de l’alternance des tours de parole. Par exemple, se familiariser avec des phénomènes spécifiques comme « la prise de parole anticipée » permet de prévenir les malentendus culturels.

Dans le souci de sensibiliser le public à l’importance de la dimension située et contextuelle des échanges, nous avons proposé l’analyse d’extraits issus d’interactions différentes. Cette variété permet de travailler sur certaines représentations stéréotypées circulant à propos de la langue parlée. Elle montre notamment que certains phénomènes traditionnellement considérés comme l’expression d’un langage « familier » ou « populaire » se retrouvent dans des contextes qui ne sont pas informels et sont sans lien avec le statut social du locuteur. Cette déconstruction nous paraît fondamentale.

Activités et pratiques en situation de classe

Comment peut-on favoriser, très concrètement, le développement des compétences évoquées et sensibiliser les apprenants à la variation situationnelle et contextuelle ?

Les descriptions et analyses présentées dans l’ouvrage sont associées à des propositions d’activités sur des aspects linguistiques et interactionnels spécifiques, à partir d’extraits d’interactions naturelles, essentiellement issus de la base de données CLAPI (Corpus de Langues Parlées en Interaction, http://clapi.ish-lyon.cnrs.fr/). À partir de ces extraits, disponibles en partie sur la page web indiquée dans l’ouvrage (p. 12), et d’autres ressources du même genre (cf. la rubrique Pour aller plus loin), l’enseignant pourra choisir celles qui sont les plus adaptées au niveau de son public et proposer différentes activités, selon les objectifs d’apprentissage et les compétences sur lesquelles il souhaite travailler avec ses étudiants.

Au-delà des activités de compréhension orale des extraits (écoute/visionnage sans transcription, questions ouvertes, résumé de la séquence, etc.), il est possible de concevoir des exercices spécifiques avec le support d’une transcription « personnalisable », c’est-à-dire à adapter en fonction du niveau des étudiants et des objectifs d’apprentissage. Nous citerons à ce propos deux types d’activités qui pourraient être proposées en classe : les exercices de remplissage et les activités de reconstruction.

  1. Les exercices de remplissage

Les exercices de remplissage de transcriptions lacunaires permettent de travailler sur des objectifs phonétiques, prosodiques, lexicaux et interactionnels. Par exemple, pour sensibiliser les étudiants au rythme du français parlé, les habituer à des débits plus rapides, les amener à reconnaître des accents d’insistance, des phénomènes d’assimilation, etc., on peut partir de transcriptions “nues”, que les étudiants enrichissent de notations prosodiques ou phonétiques dans un exercice d'écoute perceptive, puis comparent à la transcription intégrant une notation de ces phénomènes.

Les exercices de remplissage peuvent viser des objectifs lexicaux et interactionnels (formulation des requêtes ou invitations, emploi des petits mots de l’oral, etc.). Par exemple, on demandera d’imaginer et d’insérer, dans les espaces vides de la transcription, des marqueurs discursifs ou des formules rituelles. L’écoute/visionnage de l’extrait d’interaction authentique permettra par la suite de découvrir les formes réellement utilisées par les locuteurs.

Ces exercices peuvent être proposés depuis le niveau débutant (A2) et dans des classes multi-niveaux : il suffit de sélectionner les extraits les plus adaptés au(x) niveau(x) du public.  

  1. Les activités de reconstruction et imagination

Ce genre d’activité est particulièrement indiqué pour travailler sur la dimension mimo-gestuelle des échanges (à partir du niveau B1). Il s’agit, par exemple, de reconstruire un échange verbal à partir du visionnage sans le son d’un extrait vidéo d’une interaction naturelle. Les étudiants, qui travailleront en binômes ou en petits groupes, sont alors amenés à imaginer, écrire et performer le dialogue entre les participants. Ensuite, le visionnage avec le son du même extrait vidéo permettra de comparer le dialogue imaginé avec l’échange authentique.

Conclusion

La prise en compte de la notion d’interaction permet de faire progresser la pédagogie de l’oral en ciblant l’enseignement sur le développement de compétences particulières liées à la co-construction et à la multiplicité des ressources mises en œuvre dans des usages concrets et des pratiques situées.

Les bénéfices liés à l’introduction et à l’exploitation des extraits d’interaction authentiques dans la didactique du FLE sont indéniables. Nous citerons en particulier :

  • l’amélioration de la discrimination sonore et de la compréhension de l’oral ;
  • le développement d’une compétence d’interaction qui permet de faire fonctionner ensemble les différentes composantes : phonético-phonologique, lexicale, morphosyntaxique ;
  • la sensibilisation à la variation situationnelle ;
  • la possibilité de travailler à la fois sur l’oral et sur l’écrit : s’il est vrai que l’accent est mis en priorité sur la compréhension de l’oral authentique, il est tout aussi possible de proposer des activités à partir de l’écrit (cf. les transcriptions) pour habituer les apprenants à écouter la langue étrangère, à en apercevoir les aspérités, ou bien pour les amener à réfléchir sur les usages typiques du français parlé.  

Nous préciserons enfin que l’exploitation didactique des extraits de corpus oraux devrait s’insérer dans une démarche de construction progressive des savoirs et des savoir-faire, qui permette d’associer ces ressources à des documents et supports plus « traditionnels », dans le but de renforcer les compétences et de faire évoluer l’apprentissage.

Pour aller plus loin

Ressources

CLAPI FLE, Corpus de Langues parlée en interaction FLE.

http://clapi.icar.cnrs.fr/FLE/

FLEURON, Français Langue Étrangère Universitaire : ressources et outils numériques

https://fleuron.atilf.fr/

PFC, Enseignement, Phonologie du Français Contemporain

https://www.projet-pfc.net/

FLORALE, Français Langue ORALE pour le FLE

https://florale.unil.ch/index.php?page=infos

 

Références bibliographiques

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Etienne C., David C., 2020, « L'enseignement du français avec les interactions : approche méthodologique et mise en œuvre en classe depuis le niveau débutant », SHS Web of Conferences 78, 07004 (2020) Congrès Mondial de Linguistique Française CMLF 2020.

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02979335

Étienne C., Jouin É., 2019, « Constituer des ressources pédagogiques pour enseigner le français oral à partir des recherches menées en interaction », in L. Gajo,  J.-M. Luscher, I. Racine & F. Zay (éd.), Variation, plurilinguisme et évaluation en FLE, Berne, Peter Lang, 225-240.

Guinamard I., Jouin-Chardon E., Rispail M., Traverso V., Thai T. D., 2014, Langues parlées, interactions sociales. Une variété d'usages pour l'apprentissage du français, Paris, L'Harmattan.

Racine I., Detey S., 2017, « Pour un renouvellement de l’enseignement en FLE au regard des corpus : défis d’apprentissage et usages contemporains », Journal of French Language Studies, 27 (2017), 87-99.

Ravazzolo E., Etienne C., 2019, « Nouvelles ressources pour le FLE à partir des études en interaction »,  LINX, 79 https://doi.org/10.4000/linx.3454

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