L'exercice en FLE : systématisation et maîtrise de la langue
Mais qui est-ce donc ?
À être de modeste apparat, de mise discrète, à l’écart des projecteurs de l’actualité méthodologique, on finit par passer inaperçu. Nul ne s’inquiète de vous, ni ne s’interroge sur votre postérité. Toujours là ? et depuis quand ? ou disparu peut-être? Qui êtes-vous donc : mais l’exercice tout simplement.
L’exercice, ah, vraiment ? Mais cela vaut-il la peine d’en parler ? N’existe-t-il pas de plus nobles sujets ? la grammaire par exemple ? ou la notion de compétence telle qu’elle prend place dans l’incontournable CECRL ? ou la lecture encore ? et l’évaluation, n’est-ce pas là un beau sujet d’analyse et de réflexion ?
Un bien frêle objet
Frêle outil d’apprentissage, aux perspectives restreintes : les accords en genre et en nombre, la conjugaison des verbes, le choix des articles... Pourtant, il demeure présent dans toutes les méthodes ou dans tous les recueils d’activités, depuis de si nombreuses décennies ! Pourquoi s’intéresser à un si chétif personnage qui incarne plus, selon certains, un conservatisme pédagogique récurrent, et de peu d’intérêt, que le nécessaire élan vers un enseignement innovant ?
Chétif, mais bien résistant
L’exercice a traversé toutes les révolutions méthodologiques. superbement ignoré des didacticiens d’ailleurs, il est toujours là, au service des apprenants et des enseignants. La publication régulière de nombreux recueils témoigne de cet intérêt et mérite d’être examiné de plus près.
Apprendre/enseigner le français aujourd’hui est une activité infiniment plus complexe qu’elle ne le fut autrefois. Apprendre à communiquer, oui, mais dans des champs de compétences extrêmement variés, selon les attentes de plus en plus diversifiées, avec donc ce sentiment que l’on avance dans un univers mouvant, et où les effets de variation semblent à tous moments l’emporter.
Mais si communiquer/échanger implique que l’on sache s’investir dans son propos, nous sommes du côté de l’énonciateur, que l’on sache prendre en considération l’interlocuteur, avec ses intérêts, ses attentes, cet échange ne saurait s’opérer sans l’existence de codes partagés, au premier chef celui se rapportant au système de la langue. Non suffisant, nous le savons tous, mais nécessaire, oui. Et le rôle de l’exercice n’est-il pas, selon ses ressources propres, de familiariser l’apprenant avec les particularités d’un code dont la complexité n’est pas la moindre de ses caractéristiques ?
"Le rôle de l’exercice n’est-il pas, selon ses ressources propres, de familiariser l’apprenant avec les particularités d’un code dont la complexité n’est pas la moindre de ses caractéristiques ?"
Un moment nécessaire
Le moment de l’exercice apparaît donc, en contraste, comme un moment, non de pause, mais d’assise momentanée du travail d’apprentissage, sur un socle d’activités plus stable :
- des variations à forme et portée plus restreintes,
- une réponse aisée à évaluer,
- un moment pour reprendre son souffle, comme peut l’être la dictée pour le professeur de français langue maternelle.
Ce qui explique dans tous les cas l’intérêt que présente l’exercice pour les apprenants comme pour les enseignants.
Mais cet intérêt ne saurait se fonder sur cette seule propriété, il faut bien en convenir.
Une mécanique complexe
Mais cette simplicité, toute d’apparence, ne doit pas nous leurrer. Quand on analyse les modes de construction de l’exercice, on s’aperçoit que loin de se limiter à la simple réitération de formes ordinaires de la langue par le moyen de consignes, d’un contenu, d’apports et d’un exemple, il prend appui sur des descriptions grammaticales particulières et privilégie des formes d’apprentissage qui sont loin de se réduire au simple conditionnement. Mécanique plus complexe donc qu’on ne le pense et qui s’inscrit dans un répertoire très large de variations dans les formes et usages qu’il importe de mettre en évidence.
Une relation particulière à la grammaire
Il importe de mieux connaître cette diversité des formes qu’il revêt et les principes grammaticaux sur lesquels il s’appuie, plus grande qu’on ne le pense. Du français langue maternelle au français langue étrangère en passant par toutes les positions intermédiaires, français langue seconde ou de scolarisation, français dans un enseignement bilingue et autre, l’exercice par sa plasticité s’adapte à tous les contextes d’apprentissage. En même temps, dans des domaines de référence apparemment aussi « évidents » que ceux de l’acquisition de l’article par exemple, l’exercice s’inscrit dans une description grammaticale particulière, celle d’une syntaxe positionnelle, avec un article nécessaire (les noms nus sont très peu fréquents en français), disjoint du substantif et nécessairement antéposé, sans omettre certaines valeurs de sens associées, article à valeur générique par exemple. Des exemples proposés dans l’ouvrage mettent particulièrement l’accent sur une dimension trop souvent omise.
Et pourquoi, avec certains publics, ne pas se servir d’un exercice, pas seulement pour en faire directement usage, mais pour réfléchir aux principes de construction qui sont à son origine ? Sur sa place dans un parcours d’apprentissage ? D’un traitement donc qui viserait à créer des habitudes, par la reprise des items, à une approche plus réflexive. Et plus encore avec les publics d’étudiants en formation.
L’exercice au contact des langues autres
Enfin, l’exercice, dans son organisation interne, dépend aussi de la langue de l’élève, dans sa structuration particulière. L’exemple du japonais, proposé en fin d’ouvrage, montre que la procédure de l’exercice, loin de s’inscrire dans un schéma universel, revêt des formes particulières liées à l’écart existant entre telle particularité de la syntaxe du japonais et celle qui prévaut en français. On se doit donc de distinguer les exercices s’inscrivant dans une certaine tradition française de l’apprentissage et les exercices contextualisés qui approchent le français dans le contexte langagier et culturel de départ de l’élève. Ainsi les exercices portant sur l’acquisition des temps du passé, selon qu’ils sont vus depuis des langues slaves, des langues sémitiques ou des langues comme le japonais, revêtent des formes à chaque fois singulières qui portent l’exercice dans un autre espace d’élaboration.
Un engagement plus complexe qu'il n'y parait
Une dernière question, avant de nous séparer. L’exercice, dans sa simplicité apparente, est-il un outil d’apprentissage aussi transparent qu’il y paraît ? Peut-être pas. Nous avons vu en effet que derrière cette construction apparemment si simple se cache tout à la fois une description grammaticale particulière, nous l’avons examiné dans l’ouvrage avec l’exemple du subjonctif, et que les opérations de manipulation que l’on propose sur les énoncés sont liées à l’existence de catégories syntaxiques ou morphologiques qui ne sont pas présentes dans toutes les langues.
S’engager dans un exercice, c’est adopter une voie particulière, non dépourvue de difficultés, tout le monde ne réussit pas d’emblée à un exercice, et dans un contexte général d’apprentissage (on apprend une langue dans ses usages de toutes sortes de manières), privilégier un moment de systématisation, une mise au net pour aller ensuite plus avant dans la complexité.
Pour aller plus loin
Michel BERRE, Gérard VIGNER éds (2019). « L’exercice dans l’histoire de l’enseignement des langues », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 62-63.
Henri BESSE, Rémi PORQUIER (1984). Grammaire et didactique des langues, Hatier-Credif.
Jean-Pierre ROBERT, Evelyne ROSEN, Claus REINHARDT (2011). Faire classe en FLE. Une approche actionnelle et pragmatique, Hachette FLE, Collection F.