Le français pour adultes migrants : contextes et propositions didactiques
Hervé Adami a choisi de diviser sa réflexion en 5 chapitres :
1) Les contextes,
2) Quels principes pour quelles démarches?,
3) Les interventions, les contenus et les outils,
4) Vers une démarche didactique en alphabétisation,
5) La formation linguistique à visée professionnelle pour les migrants.
1) Les contextes
Selon l’auteur, la formation aux adultes migrants s’inscrit dans un premier contexte politique alimenté par toutes les questions qui se posent autour de l’immigration : faut-il encourager ou réduire les flux migratoires ? seul ou en accord avec l’Union Européenne ? faut-il encourager le maintien des cultures et les langues d’origine ou faut-il unifier par assimilationnisme républicain ? comment peut-on réduire les discriminations envers des populations nées sur le sol français mais de parents nés à l’étranger ?
Le deuxième contexte prégnant se situe au niveau de l’histoire propre du français : « Le français a autant fait la France que la France a fait le français » (p.14). Le français n’avait pas vocation première à se propager sur l’ensemble du territoire français car, selon Hervé Adami, la Cour Royale souhaitait garder l’exclusivité de ce marqueur de distinction sociale. Cependant, les révolutionnaires se sont rapidement heurtés à un problème de diffusion de leurs idées face au foisonnement des dialectes sur le territoire national. Ils ont donc choisi de s’appuyer sur la langue française qui deviendrait, selon eux, vectrice d’émancipation en permettant de partager et de débattre de leurs idées (notamment la laïcité et l’égalité) dans les institutions scolaires.
Hervé Adami continue en analysant l’histoire de la langue française dans les pays de la Francophonie du Nord, terres d’immigration. Le Québec, pour sa part, s’appuie sur la langue française afin de revendiquer son identité face à un environnement canadien et étasunien anglophones. Ses politiques linguistiques locales visent à renforcer le français auprès des populations migrantes. La Suisse utilise le français afin d’harmoniser certaines règles communautaires propres aux cantons de la Romandie et pour se différencier des cantons germaniques. En Belgique, la fédération Wallonie-Bruxelles s’oppose aussi à la territorialité des Flandres par sa réglementation locale. Finalement, au Luxembourg, le français est devenu une langue officielle sur tout le territoire en 1984 au même titre que le luxembourgeois et l’allemand afin de conserver une certaine diglossie d’usage (le luxembourgeois étant maintenu pour les échanges de la vie courante). Aucun formateur en Francophonie du Nord ne peut ignorer ces contextes politiques et historiques qui peuvent resurgir, selon l’auteur, souvent de manière inopinée dans des discussions pseudo-scientifiques qui reflètent cependant plutôt des positions idéologiques.
Une autre partie de ce chapitre concerne des précisions terminologiques apportées par l’auteur. On retrouvera le triptyque migrant/immigré/émigré. Dans la loi française, seul le terme d’étranger à une valeur juridique puisqu’il désigne une personne qui n’a pas la nationalité française. La notion de migrant est utilisée à des fins statistiques afin de répertorier les personnes installées sur le sol français (avec ou sans nationalité) mais nées à l’étranger. L’immigré a souvent été réduit aux travailleurs immigrés. La figure d’émigré est relativement peu problématisée alors que les retours au pays peuvent provoquer un sentiment d’anomie. A cet état de migration, s’ajoute la problématique des compétences linguistiques du migrant qui peut posséder le français comme langue première, seconde ou étrangère. Il est évident que seuls les migrants allophones (cas 2 et 3) seront considérés dans cet ouvrage.
Hervé Adami précise aussi ce qu’il entend par intégration linguistique. Il se positionne sur le terrain des études sociologiques qui mobilisent depuis un certain temps le concept d’intégration, terme qu’il considère plutôt neutre au vu de ses homologues assimilation (négation de la culture d’origine) et insertion (valorisation de cette dernière). L’intégration linguistique est imaginée comme un processus non-linéaire qui dépend des besoins des migrants : il n’y a donc pas d’absolu.
S’ensuit une présentation des dispositifs de formation en France. Historiquement, ces dernières étaient destinées aux travailleurs immigrés qui arrivaient avec en sus des problématiques de littéracies. C’est ainsi que l’apprentissage du français se faisait de pair avec l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Depuis les années 80, le répertoire des migrations s’est enrichi (regroupement familial, réfugiés…) et les formations sont moins centrées sur le public avec des besoins en alphabétisation. La mise en place du Contrat d’intégration républicaine (CIR) dans les années 2000 a permis une professionnalisation du domaine de formation avec l’Etat qui joue le chef d’orchestre en matière de subventions, laissant de moins en moins de place aux propositions locales spontanées. Les acteurs sont aussi soumis à une mise en concurrence de plus en plus acerbe qui les obligent à respecter le référentiel Français langue d’intégration (FLI) pour pouvoir décrocher les marchés de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ou les projets proposés par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) et par les Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS).
L’apprenant adulte migrant allophone possède ses propres particularités que l’auteur détaille dans une section dédiée à l’hétérogénéité de la salle de classe. Tout d’abord, le niveau de scolarisation impacte le plus directement les apprentissages. Plus la scolarisation est importante, plus il sera facile pour le migrant d’apprendre le français : en effet, il pourra surtout s’appuyer sur des habitus scolaires qui lui permettront de prendre pleinement part au cours. De plus, une bonne maitrise de la langue première lui sera utile pour assimiler une nouvelle langue seconde. Au contraire, les apprenants analphabètes avec peu de temps de scolarisation nécessitent un accompagnement plus soutenu. L’appartenance à une classe sociale a également des conséquences certaines quant aux contenus à présenter aux apprenants. Les parcours sociolangagiers seront plus ou moins facilitateurs selon que l’apprenant possède un répertoire de langues plus étendu ou qu’il a traversé des aires linguistiques proches du français. Les motivations finales (rester en France, partir vers d’autres lieux, apprendre à communiquer avec ses petits-enfants, …) conditionnent aussi les apprentissages. Finalement, le formateur doit se rappeler que ce sont des adultes avec des préoccupations autres que le seul apprentissage du français qui se trouvent dans sa salle de classe : une didactique centrée sur des principes d’andragogie doit être mobilisée dans ce contexte.
2) Quels principes pour quelles démarches ?
Dans cette partie, Hervé Adami revient sur les caractéristiques du public migrant et les conditions de formations afin d’esquisser quelques axes forts qui devraient orienter les formations linguistiques. Tout d’abord, il faut comprendre que l’apprentissage du français va se réaliser en situation d’immersion, c’est-à-dire que les migrants vont découvrir la langue par le truchement d’interactions sociales plus ou moins réussies. Il n’y a donc pas de faire semblant possible et les propositions didactiques doivent s’appuyer sur des réalités sociales concrètes qui émanent d’interactions quotidiennes avec des locuteurs natifs, tout en gardant en tête que les apprenants ont déjà appris des structures par le biais d’interactions orales et qu’ils continueront à enrichir leur répertoire par ce même processus. L’oral doit donc tenir une place importante dans les cours puisque c’est par l’oral que se crée majoritairement les contacts avec la population locale. Hervé Adami continue en indiquant que les migrants sont régulièrement réduits dans la salle de classe à leur culture d’origine qui les empêcherait, selon les formateurs, de s’acculturer à la culture cible. Toutefois, en présentant les travaux de Bernard Lahire (2019), on comprend que la culture peut être abordée sous l’angle individuel de l’habitus, à savoir, une manière particulière d’anticiper de façon automatique le monde réel. C’est cet aspect-là des interactions quotidiennes langagières qu’il faudrait travailler en salle de cours (les mimiques, le vouvoiement, les gestes…) plutôt que l’idéologie (le système de valeurs de référence revendiqué par le pays d’accueil).
La séparation des aptitudes (oral/écrit ; réception/production) est présentée de plus comme un élément structurant des formations. En effet, l’interaction orale spontanée est le plus souvent la situation qui met en difficulté les apprenants dans leur quotidien: elle doit donc faire l’objet d’attention particulière. En sus, séparer les aptitudes permet de ne pas mettre en difficulté le public ne maitrisant pas le code écrit français, comme lorsque l’on demande de répondre par des questions écrites à un document sonore. Le casse-tête de la progression est aussi abordé par Hervé Adami qui rappelle l’hétérogénéité extrême des publics. La thématique doit être l’élément conducteur des séquences. Les situations de communications doivent être accompagnées d’actes de langage à découvrir selon les disponibilités et le niveau de chacun. Hervé Adami propose notamment de réduire les temps de groupe afin de s’assurer des progressions individuelles. Pour cela, il faut veiller à ce que les consignes soient claires, qu’elles soient modulables en fonction des niveaux et que les apprenants puissent bénéficier de temps spécifiques en sous-groupes en décentrant parfois une partie des apprentissages sur des outils numériques. Comme nous pouvons l’anticiper, la grammaire n’est pas au centre des formations mais la compétence métalinguistique reste nécessaire pour découvrir les régularités de la langue : quelques exemples d’exercices inductifs sont d’ailleurs proposés. La phonétique doit finalement faire partie intégrante des programmes de formation afin de parfaire l’intelligibilité du locuteur au même titre que la proxémique et la kinésique. En ce qui concerne les tests de positionnement, Hervé Adami déplore qu’ils se centrent sur les seules compétences linguistiques. Il serait plus intéressant de prendre en compte l’intégralité du profil sociolangagier de l’apprenant (durée de scolarisation, langues premières, langues de scolarisation, temps de présence en France…) afin d’avoir une compréhension plus fine de ses acquis.
3) Les interventions, les contenus et les outils
Hervé Adami s’attarde ici sur les supports à mobiliser dans les cours de français pour migrants en insistant sur les documents authentiques qui doivent avoir été produits dans un cadre d’authenticité sociale, qu’importe sa complexité puisqu’il est possible de ne traiter qu’une partie du document. Ces documents doivent être en phase avec les besoins sociaux des migrants et peuvent être plus ou moins iconographiques (noms de rue, photos des écrans d’un automate bancaire…). Le recueil de documents authentiques oraux s’avèrent plus compliqués, notamment pour les interactions verbales, mais on pourra s’appuyer sur des productions en continu (messages téléphoniques, annonces de gare, …). Les productions écrites devront aussi être le plus proches des situations de communication du quotidien, comme le SMS, de même que les productions orales (messages vocaux). Finalement, Hervé Adami propose des séquences thématiques avec les actes de langage qui leur sont associés (10 pages) afin de répertorier les situations de communications auxquelles sont confrontées les migrants dans leur quotidien. Un déroulé d’une séquence située (ancrée dans la réalité sociale) et finalisée (cohérence de l’enchainement des actes sociolangagiers) est présentée de manière détaillée (un enfant malade le matin) afin d’illustrer comment s’articule les différentes phases de compréhension et de productions orale et écrite. Cette approche n’empêche pas l’enseignant de s’appuyer sur des exercices qui reprendront des documents authentiques et permettront une réitération et systématisation des acquis linguistiques. Il s’agit avant tout de mobiliser les apprenants pour dépasser le « mur linguistique » en proposant des consignes simples qui pourront être réalisées facilement. Le numérique a toute sa place en permettant de projeter des ressources riches, colorées et contextualisées, de même que les concordanciers numériques pour le repérage des régularités. Le site fli.atilf.fr est finalement un lieu proposé pour dénicher des séquences contextualisées et finalisées dans le cadre des recherches du groupe Langage, Travail et Formation.
4) Vers une démarche didactique en alphabétisation
Ce chapitre a pour ambition de soulever les problématiques propres à l’enseignement du français à des personnes n’ayant jamais été ou peu alphabétisées dans leur pays d’origine. Hervé Adami apporte aussi quelques propositions pédagogiques pour ce public particulier. Tout d’abord, une définition du mot alphabétisation s’impose et l’auteur retiendra qu’il s’agit surtout d’un processus individuel socio-cognitif alors qu’il réservera le terme de littéracie aux aspects historique et anthropologique. La spécificité du public analphabète allophone tient au fait qu’il doit apprendre à lire et à écrire une langue qu’il ne maitrise pas et qui est surtout perçue de manière déformée par le biais du crible phonologique de la langue maternelle. Il n’en reste que dans notre société inondée par l’écrit, les analphabètes sont souvent assez habiles pour s’appuyer sur des compétences partielles développées de manière informelle pour réaliser des tâches de la vie quotidienne (retirer de l’argent au distributeur automatique). Hervé Adami précise ensuite les contours de l’écrit qui s’inscrit dans un champ sémiotique riche comprenant le contexte général de l’écrit (une affiche sur un mur), la disposition du texte, les caractères…qui devront aussi être déchiffrés par l’apprenant. S’ensuit une brève présentation des querelles théoriques concernant l’enseignement de la lecture (méthodes globale ou phonétique) qui permet à l’auteur de proposer un enseignement qui serait plutôt centré sur le développement d’habiletés graphème par graphème tout en s’appuyant sur des reconnaissances de mots déjà déchiffrés en situation. Pour ce qui est de l’écriture, des compétences partielles peuvent être développées dans un premier temps avec la scription (formulaire à compléter) et la rédaction de messages courts (SMS, liste de courses…).
Pour finir, Hervé Adami propose un modèle d’entrée dans la littéracie qui repose sur quelques principes déroulées dans la littérature scinetifique: tout d’abord, tous les écrits sont sociaux et ont une visée fonctionnelle qu’il faudra faire découvrir aux apprenants ; le développement de l’écrit influence le développement de compétences métalinguistiques qui influencent de nouveau le développement de l’écrit ; l’écrit n’est pas dissocié de l’oral qu’il transcrit mais il émerge dans un contexte nouveau où l’interaction est différée. La lecture est ainsi abordée de manière synthétique selon quatre phases : « reconnaitre et situer les écrits ; mémoriser ; décoder ; réfléchir sur l’écrit » (p.158). Pour l’écriture, les trois phases se résument à : « adapter le message à la situation de communication et au lecteur ; maitriser la graphie manuscrite et digitale ; encoder et mettre en mots pour construire un sens » (p.158).
5) La formation linguistique à visée professionnelle pour les migrants
Comme le rappelle Hervé Adami, l’insertion professionnelle reste un enjeu majeur dans le processus d’intégration. Plusieurs phases sont identifiables et elles demandent toutes de s’attarder sur des fonctions de communications particulières. Tout d’abord, les séquences thématiques liées aux démarches d’accès à l’emploi reprendront les nomenclatures des métiers, les structures de l’aide à l’emploi, les droits et les devoirs du salarié, la recherche d’emploi et les règles de base de la vie au travail. Il sera aussi question d’aborder les compétences langagières professionnelles transversales comme l’organisation du travail, les relations interpersonnelles entre salariés, entre les salariés et l’encadrement, avec les partenaires extérieurs à l’entreprise, les codes sociolangagiers propres à l’entreprise et, finalement, la sécurité et l’hygiène dans l’entreprise.
Pour ce qui est des compétences langagières liées au poste de travail, une méthodologie du français langue professionnelle parait particulièrement appropriée afin de faire émerger les profils des travailleurs et les particularités discursives de leur environnement de travail.
6) Conclusions et commentaires
Au travers de ces différents chapitres, Hervé Adami nous propose une contextualisation forte de l’enseignement du français aux migrants qui se nourrit de considérations politique et historique. Il sera donc important pour le formateur de suivre les débats en cours dans chacun des pays de la Francophonie du Nord afin de ne pas se faire emporter par des opinions qui ne reflètent en aucun cas les débats scientifiques actuels, qu’ils soient linguistiques, politiques ou sociologiques. On notera plus particulièrement la valeur que donne Hervé Adami à la langue française, vectrice d’émancipation pour les révolutionnaires mais aussi pour les formations didactiques d’aujourd’hui (notion d’empowerment).
Confrontés à des publics très hétérogènes et avec des moyens mouvants (logique de l’appel d’offre), les propositions didactiques d’Hervé Adami se centrent sur les besoins premiers des apprenants en calant les séquences didactiques sur des documents oraux et écrits socialement contextualisés. Les fiches proposées sur fli.atilf.fr mais aussi dans le cadre du projet FOCAALE (Bruxellesfle.be) seront d’une grande aide pour les formateurs confrontés à des apprenants avec de petits niveaux en lecture et en écriture. On remarquera qu’Hervé Adami centre ses propositions didactiques sur le contexte des interactions quotidiennes tout en le déchargeant de ses valeurs idéologiques, comme la culture. Le formateur appréciera de nouveau de ne pas être pris à parti dans des considérations politiques où il se voit parfois contraint d’ « acculturer » les apprenants à la laïcité, aux symboles de la République, à l’Histoire de France…
L’auteur propose dans cet ouvrage une réflexion de fond qui permet à chacun de comprendre les particularités de l’enseignement du français aux migrants et de s’approprier les principes de base afin de créer des séquences didactiques pertinentes. Les deux derniers chapitres détaillent les caractéristiques du public analphabète et des apprenants en situation (pré) professionnelle : de nouveau, les objectifs de formation sont suffisamment détaillés pour pouvoir enrichir sa pratique professionnelle. Les renvois bibliographiques en fin de chapitre permettent à chacun de prolonger sa réflexion et d’affiner le large répertoire de techniques proposées.
Références
Hervé Adami (2020). Enseigner le français aux adultes migrants. Hachette FLE.
Lahire, B. (2019). Dans les plis singuliers du social. La découverte.
France Education International, Radya, Bruxelles FLE, Proforal, CLAE (2021). Fiches FOCAALE. Projet Erasmus+ Commission européenne.
A propos de l'auteure de l'article
Nathalie Gettliffe est maître de conférences à l’Université de Strasbourg et est aussi Présidente de l'Association Rhénane des Enseignants de Français Langue Etrangère.